Hommage à Pierre Philippe

Décembre 2022

« Le couteau ce matin/Pénétrant dans le beurre/Pénétrant dans le pain/Le couteau m'a fait peur/Il n'était plus pareil » : sur le fil du mystère et de l’onirique, le parolier Pierre Philippe avait su créer l’univers d’un des chanteurs les plus talentueux et décalés apparus dans les années 1980, Jean Guidoni, avant de fourbir à Juliette les armes d’un onirisme teinté d’humour.

Délicieusement cultivé, imbattable sur l’histoire du cinéma et de la chanson, Pierre Philippe, né le 12 novembre 1931 à Paris, y est mort le 20 décembre 2021, à l’âge de 90 ans. Homme pluriel, il avait traversé toutes les expressions artistiques de l’après guerre. La peinture d’abord et la décoration de théâtre, puis le cinéma. En 1956, il intègre la revue Cinéma, créée par Pierre Billard, faisant alors une place aux productions de science-fiction ou d’épouvante, alors méprisées par ses confrères. Puis, le voici réalisateur d’un long métrage, Midi-Minuit) tourné à la hâte et avec fougue à la fin de l’été 1969 dans les décors majestueux des Baux-de-Provence.

 Passionné de music-hall, amoureux des textes, il collabore avec la poétesse et chanteuse Hélène Martin (1928-2021), qui réalise au début des années 1970 « Plain Chant », des émissions consacrées aux poètes contemporains. Puis Pierre Philippe accompagne les travaux de la journaliste Daisy de Galard, productrice sur l’ORTF (de 1965 à 1971) de Dim Dam Dom, magazine consacré aux femmes.

Auteur de nombreux scénarios et dialogues pour le cinéma, il poursuit sa carrière chez Gaumont, veillant sur la bonne santé du catalogue maison, initiant notamment en 1990 la restauration de L’Atalante de Jean Vigo (1934), dont les droits allaient tomber dans le domaine public. Grand amoureux de music-hall, ainsi que des vedettes de la chanson française du début du siècle, il réalise en 1993 pour « Arte » le documentaire Le Roman du music-hall, et en 2019 Le Grand Roman du music-hall, pour la chaîne « Histoire », utilisant des images oubliées des archives Gaumont-Pathé. 

Après La Passion Selon Peter paru en 1988, il publie en 2003 chez Grasset L'air et La chanson, roman historique sur le music-hall, où Damia croise Sylvie Vartan, Mistinguett ou Johnny Hallyday. C’est un récit transversal de cet « art mineur » qu’il perçoit, déclare-t-il alors à FR3, comme « une chaine sans fin qui réussit à créer des liens extraordinairement forts entre les générations … comme un passage de relais ».  Il écrit également deux pièces de théâtre qu’il met en scène lui-même : Salle obscure (1984) avant, inscrit dans la tragédie naissante du sida, Arrêt imminent dernière station (1990). 

 C’est en 1977 qu’il commence une carrière de parolier, avec la chanteuse allemande Ingrid Caven. Il lui offre la traduction de textes de son ancien époux, le cinéaste Rainer Werner Fassbinder. Bouleversé par la revue qu’elle donne au Pigall’s, Jean Guidoni contacte Pierre Philippe. De cette collaboration naissent quatre albums marquants (Je marche dans les villes [1980], Crime passionnel [1982], Le Rouge et le Rose [1983], Putains [1985]), à l’écriture réaliste, crue et luxuriante, dessinant les contours de l’étrangeté du quotidien. Dans une ambiance singulière et « fin de siècle » – ce sera le titre du spectacle-retrouvailles avec Guidoni en 1999 – Pierre Philippe donne ensuite à Juliette un Monocle et col dur, qu’elle chantera en duo avec Guidoni. Pour elle, Pierre Philippe écrit deux albums, Irrésistible (1993) et Rimes féminines (1996).

Un recueil paru en 2004 chez Christian Pirot, Le Rouge, le rose, reprend l’œuvre du parolier-poète, touche à tout, qui avait, entre autres, réussit à marier ses mots de rouge et de noir à la musique si complexe d’Astor Piazzolla et à les faire interpréter par un Jean Guidoni maquillé de blanc et vêtu de noir, devenu médium des angoisses existentielles.

Pierre Philippe avait été admis à la Sacem en 1978, puis promu sociétaire définitif en 1999.

 

"Pierre Philippe a donné à quelques interprètes majeurs de la chanson, Ingrid Craven, Juliette et Jean Guidoni, des mots inspirés, forts, des images insolites et bouleversantes, bref des textes qui font honneur à un art pas si mineur que ça. Un souffle entre l'étrange et l'étreinte. Une plume qui va nous manquer."
Claude Lemesle, auteur, Président d’honneur de la Sacem

 

 

Publié le 28 janvier 2022