HENRI TACHAN, LE RÉVOLTÉ DE LA CHANSON

Juillet 2023

Aimé pour sa voix, sa gouaille et ses interprétations partagées entre révolte et tendresse, Henri Tachan fut une figure marquante de la chanson contestataire des années 60 et 70. Il s’est éteint le 16 juillet 2023 à l'âge de 83 ans.

Certes, il ne rencontra pas une popularité à la hauteur des Léo Ferré, Georges Brassens ou Anne Sylvestre, mais Henri Tachan traça dans la chanson française un sillon intransigeant qui lui valut un temps le titre de « chanteur le plus censuré de France » attribué par les médias. Ses coups de gueule à l’encontre de tous les responsables des maux et injustices de la société, l’auteur-compositeur-interprète a su les accompagner d’une générosité qui lui a valu un succès moins retentissant que celui des artistes précités, mais qui lui a garanti l‘affection d’un public d’admirateurs très fidèles.

De son vrai nom Henri Tachdjian, il naît le 2 septembre 1939 à Moulins (Allier) et doit son patronyme à un père arménien. Henri Tachan effectue sa scolarité au pensionnat catholique de Notre-Dame de Bury à Margency (Val-d'Oise), puis dans un lycée parisien. Il suit ensuite des études dans une école hôtelière de Thonon-les-Bains avant de devenir serveur au Ritz, le prestigieux palace parisien. Cet emploi - qui lui inspire l’une de ses plus fameuses chansons, La table habituelle - le place en observateur privilégié des riches, des puissants et des bourgeois, qu’il commence à avoir en détestation mais qui vont devenir l’une de ses principales sources d’inspiration (Dans les wagons de première classe).

En 1962, Henri Tachan s’installe au Québec. À Montréal, il commence à réciter des poèmes dans le cabaret restaurant Chez Clairette. Un soir, de passage dans l’établissement, Jacques Brel l'encourage à tenter sa chance à Paris. De retour en France, il suit ce conseil et publie son premier album, Les mauvais coups, en 1965 chez Barclay. Soutenu par le chanteur belge qui dit de lui « Le lion est lâché ! Écoutez-le rugir… Celui-là rugit fort et rugira longtemps… ».

Tachan enchaîne les albums à un rythme soutenu : trois nouveaux parus entre 1967 et 1969, puis quatre autres de 1973 à 1976. L’auteur-compositeur y donne libre cours à l’expression de toutes ses colères, avec férocité et humour à l’encontre des militaires (Les z’hommes) et de la société de consommation (Les grands magasins). Anticonformiste, Henri Tachan n’hésite pas à aborder de manière crue le thème de la sexualité, y compris sous des angles les plus tabous comme les relations sexuelles du troisième âge dans Une pipe à Pépé, l’une de ses chansons les plus célèbres.

Féru des poètes classiques, Tachan développe un style d’écriture personnel teinté d’humour noir. Ses cibles sont multiples, les militaires mais aussi les chasseurs, les férus de corridas, les machos, les beaufs… Son sens de la contestation le rapproche de la bande du Charlie Hebdo. Ainsi, des dessinateurs du journal satirique comme Cabu, Reiser, Wolinski, Willem ou Vuillemin, participent à l’illustration de quatre recueils de ses textes bientôt regroupés en un coffret paru aux Editions Dargaud. Tachan a aussi mis en musique ses maîtres, à l’image de la chanson Demain, dès l’aube conçue autour d’une poésie de Victor Hugo.

En parallèle, Henri Tachan a porté sa poésie révoltée à la scène. Après s’être produit en première partie de Juliette Gréco à l’Olympia de Paris, d’autres artistes l’invitent sur les planches de Bobino, dont Isabelle Aubret, Félix Leclerc, Pierre Perret, puis Georges Brassens en 1972. Deux ans plus tard, il chante pour l'ouverture du futur Théâtre des Blancs-Manteaux, avant de jouer l’année suivante durant deux semaines au Théâtre de la Ville ainsi que le temps d’une soirée à l'Olympia, salle où il reviendra en 1978. Enfin, en 1999, il tient durant six semaines la scène du Théâtre de Dix Heures, toujours à Paris.

Bien que le rythme de sa production discographique ralentisse à partir des années 80, il publie un dernier album, intitulé De la pluie et du beau temps, en 2007. La disparition de celui qui reçut en 2002 le prix in Honorem de l'académie Charles-Cros pour l'ensemble de sa carrière laisse orpheline une communauté de fidèles pour lesquels insolence, impertinence et irrévérence avaient encore un sens.

Admis à la Sacem dans la catégorie auteur le 15 février 1965, il le fut en tant que compositeur le 14 février 1969, puis promu sociétaire définitif dans la catégorie auteur le 17 avril 1980.

 

« Ce n'est pas par hasard que Tachan avait préfacé le premier recueil d'Allain Leprest, "Tralahurlette". Entre eux, ils se reconnaissent, les poètes contestataires, les lutteurs de la plume, celles et ceux qui ne se contentent pas de l'écume des mots, mais qui écrivent avec noblesse la vie des humbles. »
Claude Lemesle, auteur, Président d’honneur de la Sacem.

 

 

 

Publié le 19 juillet 2023