Jean-Louis Murat, poète de la nouvelle chanson française

Dépositaire d’une chanson française croisée à des éclairs folk et rock, l’auteur compositeur d’origine auvergnate a participé au renouveau de la scène hexagonale des années 90. Décédé d’une embolie pulmonaire à 71 ans, cet artiste intransigeant laisse une œuvre prolifique – plus d’une vingtaine d’albums studio – parsemée de succès grand public, succès dont il s’est ensuite désintéressé au profit d’une grande liberté d’écriture et de composition.

©cisfr_DALLE

Suicidez-vous le peuple est mort, c’est avec ce premier titre paru en 1980 que Jean-Louis Murat débarque dans le paysage musical hexagonal. Une belle gueule, un ton nouveau et déroutant, peut-être trop. En cette période où la new-wave grise est de mise, la chanson française n’est pas prête à l’injonction du chanteur. Mais ce n’est que partie remise. Né Jean-Louis Bergheaud, le 28 janvier 1952 à Chamalières (Puy-de-Dôme), il est attiré très tôt par la musique et la poésie. Ce sera ensuite le choc de la découverte du jazz, du blues et de la littérature américaine.

Son baccalauréat en poche, sa vie est bouleversée par le divorce de ses parents. Lui-même se marie à 17 ans, devient père à 19 et divorce aussitôt. Il quitte alors sa région et s’exerce à différents petits métiers dans différents coins de France.

En 1977, il revient dans son village afin de se consacrer à la musique. À Clermont-Ferrand, il monte le groupe rock Clara où il joue de la guitare et du saxophone, mais qui se sépare l’année suivante. Grâce à William Sheller, qui a invité Clara à ses premières parties pour l’accompagner, Jean-Louis a la possibilité d’enregistrer son premier titre. Il prend le nom de scène de Murat, du nom du village de Murat-le-Quaire où ses grands-parents possédaient une ferme.

Effrayées par le titre de sa première chanson, certaines radios la censurent. Il enchaîne en 1982 avec un mini-album six titres puis avec l’album Passions Privées, de nouveaux échecs commerciaux qui poussent son label, Pathé Marconi EMI, à lui rendre sa liberté. Loin d’abdiquer, Murat continue de composer durant les années suivantes. En 1987, il décroche un contrat avec Virgin où sort, deux années plus tard, l’album Cheyenne Autumn, qui lui vaut enfin un succès critique et public à 35 ans. Porté par les singles Si je devais manquer de toi, Te garder près de moi et L’ange déchu, l’album devient disque d’or et révèle à la France une personnalité nouvelle, un séducteur romantique qui chante le spleen et les désenchantements de la vie, auteur au ton intimiste, compositeur qui manie les synthétiseurs et les ambiances ténébreuses.

Sur le suivant, Le Manteau de pluie, paru en 1991, il pousse plus loin la froideur des musiques mais parvient à insuffler une sensualité rare à ses chansons grâce à sa voix profonde et langoureuse. Dans ses textes, il fait souvent référence à son Auvergne natale, source d’inspiration à la fois poétique et photogénique où la neige et la solitude ajoutent à sa mélancolie naturelle. Mais c’est le duo Regrets enregistré avec Mylène Farmer qui le fait connaître au grand public, un tube qui se hisse aux sommets du top 50 et s’écoule à 300 000 exemplaires.

À partir de cette époque, Murat compose et publie des albums à un rythme soutenu. Avec Vénus (1993), il délaisse les synthétiseurs pour un retour à la guitare, qu’elle soit acoustique ou électrique. Il poursuit dans cette veine chanson rock sur Dolores (1996), superbe disque où il abandonne les références à sa région pour des évocations imagées de ses sentiments et de ses émotions. Sensible au renouveau du rock-folk alternatif américain, il s’en fait une sorte de correspondant français, poussant cette attirance jusqu’à une collaboration avec le groupe Calexico pour l’album Mustango enregistré en Arizona. Paru en 1999, il contient la sublime chanson Bang Bang, en duo avec Jennifer Charles d’Elysian Fields.

Qu’importe si les ventes déclinent peu à peu et si Murat ne sorte plus de hit, il atteint son pic de créativité, et explore toutes les musiques à sa guise, changeant de musiciens en fonction de ses projets et de ses envies. Le 20e siècle le voit enchainer Le moujik et sa femme (2002), le double album Lilith (2003), le projet A Bird on a Poire (2004) avec différents invités, puis Москва (2005), dernière sortie chez Virgin. Transféré chez V2 Records, il publie coup sur coup Taormina (2006), Charles et Léo (2007) sur lequel il chante des poèmes de Baudelaire mis en chansons par Léo Ferré, Tristan (2008), Le cours ordinaire des choses (2009) et Grand lièvre (2011).

Passé dans l’ancienne génération de la nouvelle chanson française elle-même en plein renouvellement, subissant la crise du disque, Murat signe avec le label indépendant [PIAS] pour une série d’albums où son écriture semble se ressourcer en renouant avec les thèmes de la ruralité, de la nature et de la vie animale : Toboggan (2013), le double Babel (2014) enregistré avec les Clermontois folk de The Delano Orchestra, Morituri (2016), Travaux sur la N89 (2017), le plus électro Il Francese (2018) et enfin Baby Love (2020), album récit d’une rupture amoureuse. Alors que [PIAS] avait réédité l’intégralité de son catalogue, Murat ouvre en 2021 une nouvelle page de sa carrière en signant avec le label Cinq7 où sort son ultime album studio, le plutôt rock et varié La vraie vie de Buck Jones.

Des tournées qu’il a réalisées durant ses années à succès, Murat a tiré plusieurs disques live, dont Live in Dolores et Muragostang. Il s’est aussi livré à des projets étonnants au gré de ses rencontres, enregistrant un DVD live de chansons inédites, Parfum d'acacia au jardin, ou confiant à Isabelle Huppert le rôle de Madame Deshoulières sur un album hommage à cette contemporaine de Racine. Il a aussi été éclectique dans ses rapports aux musiciens, collaborant avec Denis Clavaizolle en début et en fin de carrière, ainsi qu’avec Fred Jimenez d’A.S. Dragon entre autres. Sa plume a été mise au profit pour des chansons d’Indochine, Françoise Hardy, Isabelle Boulay ou Morgane Imbeaud de Cocoon. Quant au cinéma, il a tenu des rôles dans La vengeance d’une femme de Jacques Doillon ou Mademoiselle personne de Pascale Bailly, composant quelques bande-originales, pour la réalisatrice Laetitia Masson en particulier mais aussi pour Claire Denis (J’ai pas sommeil) et Renaud Fely (Pauline et François).

Décédé à son domicile dans une Auvergne à laquelle il restait fidèle, il laisse une œuvre riche et infiniment variée, intense et personnelle, à son image, où son inspiration semblait en constant renouvellement, et la suite et des surprises toujours impatiemment attendues par ses nombreux fidèles.

Jean-Louis Murat avait été admis à la Sacem en qualité d’auteur et de compositeur le en 1982, et promu sociétaire définitif dans la catégorie compositeur en 1995.

"Jean-Louis Murat, auteur et compositeur au talent très personnel, n'hésitait pas non plus à revisiter le répertoire avec classe, je garde un souvenir ému de son interprétation de Marie-Jeanne, chef-d'œuvre de Bobbie Gentry, Jean-Michel Rivat et Frank Thomas, créé à la fin des années 60 par mon grand ami Joe Dassin."
Claude Lemesle, auteur, Président d’honneur de la Sacem.

« J’aimais beaucoup cet artiste libre, provocateur mais très doué et généreux, merci Jean-Louis »
Serge Perathoner, compositeur, Président du Conseil d’administration.

Publié le 25 mai 2023